L’adéquation du revenu de retraite : une conversation pour les Canadiens
GO avec Eckler : Des idées intéressantes sur le bien-être financier au travail
Selon des recherches récentes, les Canadiens pensent beaucoup à leur retraite – et plus particulièrement au fait de ne pas avoir suffisamment d’argent pour la retraite! Plus de la moitié des Canadiens déclarent ne pas savoir combien ils doivent épargner pour leur retraite et près des deux tiers des travailleurs canadiens craignent de manquer d’argent à la retraite.
C’est dans ce contexte que nous avons cru le moment tout indiqué de publier une édition spéciale de GO avec Eckler. Nous sommes ravis que Bonnie-Jeanne MacDonald, Ph. D., FICA, FSA, chercheuse résidente chez Eckler et directrice de la recherche sur la sécurité financière du National Institute on Ageing (NIA), et Janice Holman, CFA, CFP, directrice d’Eckler et cheffe de pratique en bien-être financier, aient récemment eu la possibilité de discuter de la situation actuelle au Canada en matière d’adéquation du revenu de retraite.
Janice : Bonnie-Jeanne, merci de prendre du temps avec nous et de nous faire part de votre point de vue! Pouvez-vous donner à nos lecteurs une idée générale du travail que vous effectuez sur l’adéquation du revenu de retraite?
Bonnie-Jeanne : Merci, Janice. L’adéquation du revenu de retraite rassemble mon travail d’actuaire en régimes de retraite et d’universitaire étudiant les finances et la santé d’une population vieillissante.
À la base, les gens doivent savoir s’ils épargnent suffisamment d’argent pour la retraite. L’objectif sur lequel on a longtemps compté pour déterminer si un revenu de retraite était « suffisant » est un taux de remplacement du revenu brut de 70 %. C’est un taux qui est utilisé par les actuaires, les conseillers financiers, les universitaires et les analystes des politiques publiques, tant au Canada qu’à l’échelle mondiale. Mais est-il exact? En 2009, mes collègues et moi avons étudié plus de 100 articles et recherches, mais nous n’avons trouvé aucune étude empirique (c’est-à-dire une étude fondée sur des données réelles et concrètes) prouvant qu’un taux de 70 % de remplacement des gains finaux est une mesure valide. Nous l’avons donc testé nous-mêmes, et avons découvert que dans la vraie vie, les gens qui étaient capables de maintenir leur niveau de vie le faisaient selon des taux de remplacement très variés, allant de 10 % à 200 %. Cela signifie que le taux de 70 % est non seulement une mesure invalide sur le plan scientifique, c’est également une mesure dangereuse, car probablement erronée, ce qui pourrait mener à des décisions dommageables.
Janice : Il s’agit d’une conclusion importante, surtout si l’on considère que pour la première fois de notre histoire, il y a plus de personnes âgées de plus de 65 ans que de personnes de moins de 15 ans. Ce sont autant de personnes pour qui l’adéquation du revenu de retraite est actuellement d’un intérêt capital, ou le deviendra bientôt. On dirait que l’utilisation de la règle des 70 % pourrait mener beaucoup de gens vers une retraite à laquelle ils ne s’attendaient pas. Les Canadiens ont besoin d’une manière de déterminer correctement ce qui constitue un revenu de retraite selon leur situation personnelle. Pouvez-vous nous décrire le travail que vous avez réalisé à ce sujet?
Bonnie-Jeanne : Dès que nous nous sommes rendu compte de l’invalidité de la règle empirique répandue des 70 %, la prochaine question que je me suis posée, c’était de savoir s’il y avait une autre façon, plus précise, d’aider les gens à mesurer l’adéquation de leur revenu de retraite – c’est-à-dire comment pourront-ils maintenir leur niveau de vie pendant la retraite? Le niveau de vie est personnel et dépend de caractéristiques précises de la vie, comme le coût du logement, l’état matrimonial, le nombre de personnes à charge, l’endroit où l’on vit, etc. Chacun de ces facteurs a une incidence majeure. L’erreur de la règle des 70 % devient dangereuse lorsqu’on fait comme si ces facteurs n’existent pas (ou ne sont pas importants). Ainsi, nous avons proposé le taux de remplacement du niveau de vie (ou TRNV), une solution de rechange plus précise qui repose sur des bases scientifiques robustes, et qui permet de répondre à la question : « De combien aurai-je besoin? »
Janice : Comment calculez-vous le TRNV?
Bonnie-Jeanne : Le taux de remplacement du niveau de vie détermine dans quelle mesure le niveau de vie d’une personne sera maintenu après la retraite. Habituellement, lorsqu’une personne souhaite calculer le coût de son niveau de vie, elle doit effectuer la tâche ardue, selon une approche du bas vers le haut, de rassembler tous ses reçus et ses états de comptes de crédit ou bancaires, et ensuite déterminer si elle disposerait de suffisamment d’argent pour financer ce niveau de vie à la retraite. Avec le taux de remplacement du niveau de vie, on prend un raccourci, selon une approche du haut vers le bas, afin d’estimer combien vous dépensez pour entretenir votre niveau de vie. On prend le revenu d’emploi brut, on déduit les plus grosses dépenses, comme les impôts, les paiements hypothécaires et l’épargne-retraite, et on tient compte d’un éventuel conjoint ou de personnes à charge.
Cela permet d’estimer adéquatement le revenu que vous dépensez sur vous-même selon votre niveau de vie (votre « revenu disponible ») pendant que vous travaillez. Ensuite, on fait la même chose pour la retraite, en apportant quelques modifications au calcul afin de tenir compte de cette étape de la vie : le revenu et les impôts prévus (n’oubliez pas que vous n’aurez plus d’obligation à l’épargne et probablement plus de personnes à charge).
En comparant les deux méthodes, vous pourrez répondre à la grande question : êtes-vous sur la bonne voie pour avoir le même revenu disponible pendant la retraite? En d’autres termes, serez-vous en mesure, financièrement, de maintenir votre niveau de vie?
Janice : Cela a beaucoup de sens de comparer le revenu disponible d’une personne pour maintenir son niveau de vie, avant et après la retraite. Que se passe-t-il si une personne souhaite changer de mode de vie, pour rester à la maison et faire du jardinage ou prendre soin des petits-enfants? Ou pour voyager et aller au restaurant davantage? Comment pourrait-elle utiliser le taux de remplacement du niveau de vie pour planifier sa retraite?
Bonnie-Jeanne : C’est ce qu’il y a de plus beau dans cette approche. Elle est compréhensible, et quand quelque chose est compréhensible, c’est plus facile de faire les changements nécessaires. Si vous voulez avoir un niveau de vie supérieur, vous savez que vous épargnez en vue d’un revenu disponible plus élevé que vos besoins actuels, et l’inverse. Quand une personne comprend réellement combien elle dépense aujourd’hui pour son niveau de vie actuel, et à combien elle peut s’attendre pendant la retraite, cela donne beaucoup de sens aux actions qu’elle prend. Elle peut mettre en œuvre des stratégies pour améliorer son taux de remplacement du niveau de vie, comme augmenter son épargne, revoir la date de sa retraite ou réévaluer ses objectifs relatifs à son mode de vie à la retraite.
Janice : Les prestations de retraite gouvernementales et le moment où l’on décide de les percevoir jouent un rôle clé, eux aussi, dans l’adéquation du revenu de retraite. Le moment où on demande une rente du Régime de pensions du Canada (RPC) ou du Régime de rentes du Québec (RRQ) est une décision financière importante pour la plupart des Canadiens, mais il s’avère difficile pour bon nombre d’entre eux de savoir quand le faire. Dans moins de 10 ans, le quart de la population sera âgée de 65 ans et plus, faisant du Canada l’un des quelques pays super âgés du monde. Compte tenu de notre démographie, il est important que les gens comprennent comment tirer le maximum de leur pension du RPC ou RRQ. Quelles sont les conclusions de vos recherches sur le meilleur moment de demander une rente du RPC ou RRQ?
Bonnie-Jeanne : Bien que chaque personne ait une situation différente, les Canadiens en relativement bonne santé qui ont les moyens d’attendre et qui veulent optimiser le montant des prestations du RPC ou du RRQ devraient retarder le plus longtemps possible le moment où ils commencent à recevoir leurs prestations. Toutefois, moins de 1 % des Canadiens choisissent de retarder les prestations jusqu’à 70 ans. La plupart des Canadiens reçoivent leurs prestations du RPC ou du RRQ dès qu’ils y sont admissibles, à 60 ans, probablement sans prendre en considération qu’ils renoncent à un revenu viager substantiel et à une protection précieuse contre les risques des marchés financiers, la hausse de l’inflation ou la possibilité d’épuiser leurs revenus de retraite. On perd une sécurité financière importante à un âge avancé quand on reçoit ses prestations du RPC ou RRQ trop tôt.
Janice : Cela semble être un problème important qui pourrait affecter tout le monde, des employeurs dont les employés ne savent pas comment ni quand prendre une retraite confortable à tous les Canadiens, si les personnes retraitées manquent d’argent plus tard. D’après vous, comment peut-on relever de tels défis?
Bonnie-Jeanne : Tous les Canadiens doivent recevoir les renseignements et le soutien dont ils ont besoin, de la bonne manière et au bon moment, afin d’être véritablement en mesure de prendre ces décisions importantes. La moindre des choses serait que l’industrie mette de côté les règles empiriques dépassées, invalides et souvent nuisibles. Au-delà de cela, les Canadiens devraient recevoir une formation impartiale de base, afin de pouvoir prendre des décisions éclairées. Le mieux, ce serait qu’une personne reçoive une évaluation financière personnalisée suivie de conseils sur les répercussions de son mode d’épargne actuel et sur la manière d’atteindre ses objectifs. Elle serait accompagnée d’une personne spécialisée et sans parti pris qui lui offrirait du soutien afin de l’aider à s’y retrouver dans le processus de prise de décision.
Janice : Je suis d’accord. Les gens passent de la vie active et d’un seul chèque de paie, ou peut-être deux dans une famille, à la retraite et à la possibilité d’avoir jusqu’à une douzaine de sources de revenus. On demande à la personne moyenne de prévoir ce que seront ses dépenses et de créer une source de revenus optimale pour le reste de sa vie. C’est pratiquement impossible! Votre approche, proposant de simplifier les calculs et de trouver des moyens de créer un revenu viager sûr, est ce qu’il nous faut pour fournir aux gens la retraite qu’ils espèrent avoir.
Qu’en est-il des régimes de retraite offerts par l’employeur? Pouvez-vous nous parler de ce qui est à venir qui pourrait être utile?
Bonnie-Jeanne :
Un régime de retraite offert par l’employeur contribue fortement au revenu de retraite d’une personne. Cependant, au cours des dernières décennies, nous avons assisté à un déclin des traditionnels régimes de retraite privés à prestations déterminées (PD). Ces régimes assurent un revenu de retraite à vie après la retraite. Au Canada, seulement une personne sur dix recevra un revenu d’un régime à prestations déterminées de l’employeur. En conséquence, les Canadiens ont contribué près de 1,5 milliard de dollars dans des régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER) et des régimes de retraite à cotisations déterminées (CD). Bien que ce soit encourageant, ce qu’il manque, c’est la pension en tant que telle, qui contribuera à remplacer les revenus d’emploi à la retraite. Ce dont les Canadiens ont le plus besoin, c’est d’une option accessible et abordable permettant de convertir l’épargne-retraite en un revenu mensuel à vie.
Cet écart dans le système canadien de revenu de retraite, qui selon moi entraînerait une insécurité financière croissante parmi la population vieillissante, nous a motivés, au NIA, à former une coalition d’experts en retraite, d’organisations et de parties prenantes du secteur pour demander au gouvernement fédéral de modifier les lois sur la fiscalité et les régimes de retraite afin d’autoriser une troisième option de décumul « à risques partagés », le fonds de rente dynamique, qui permet aux Canadiens de combiner leur épargne enregistrée à la retraite et de générer un revenu de retraite à moindre coût qu’une rente traditionnelle.
Lors du dernier budget, le gouvernement fédéral est allé de l’avant avec sa promesse de faire des fonds de rente dynamique (rentes viagères à paiements variables) une réalité au Canada.
Janice : Il me semble que si on peut régler des questions concernant le montant à épargner, le moment de demander une rente du RPC et l’accès à des instruments d’épargne-retraite qui procurent un revenu viager, on sera sur la bonne voie pour améliorer les retraites, tant pour les employés que pour les employeurs. Le travail que vous avez accompli est excellent!
Bonnie-Jeanne : Merci, Janice. C’est très aimable. Le défi que nous devons maintenant relever, c’est tout le travail qu’il reste à faire, plus particulièrement parce que ce sont ceux qui ont un accès direct aux Canadiens qui peuvent concrétiser ces efforts.
Le plus grand obstacle à la mise en œuvre de meilleures pratiques en matière de planification financière est psychologique : on demande aux travailleurs de voir plus loin que leurs intérêts financiers aujourd’hui et de plutôt préparer un avenir lointain, lorsqu’ils seront plus vieux et vulnérables. Cette tâche est d’autant plus ardue que le profil économique du vieillissement sera très différent de ce qu’il a été. Nous savons tous que les revenus de pension sûrs sont en déclin, mais nous sommes moins au courant du fait que les coûts associés à la retraite vont augmenter, et potentiellement de beaucoup. Cela est attribuable au fait que les gens n’ont jamais vécu aussi longtemps, et que les baby-boomers ont eu moins d’enfants que les générations antérieures. Les enfants adultes ont traditionnellement procuré la plupart des soins aux aînés chez eux. Sans ce soutien, les personnes retraitées devront se constituer une épargne pour une période de retraite prolongée, avec des revenus inférieurs et des dépenses supérieures.
Bien que les calculatrices en ligne et les ressources pédagogiques soient excellentes pour fournir des données et des renseignements, il en faut davantage pour personnaliser les chiffres, susciter une meilleure compréhension et motiver la prise de mesures. Les employeurs bénéficient d’une situation unique pour soutenir une approche personnalisée de la planification de la retraite. Ils ont la possibilité de communiquer de l’information sur la planification financière de la retraite, directement à des groupes importants de Canadiens, qui leur font confiance et qui les considèrent comme des sources impartiales. C’est avantageux, tant pour les employés que pour les employeurs, de tirer parti de ces forces uniques et de susciter des décisions financières éclairées en matière de retraite.
Si vous souhaitez poursuivre la conversation, vous pouvez communiquer avec Janice et avec Bonnie-Jeanne.
GO avec Eckler est un bulletin trimestriel qui vise à aider les employeurs et les promoteurs de régimes à favoriser le bien-être financier de leurs employés et des participants à leurs régimes.
Veuillez communiquer avec votre consultant Eckler si vous souhaitez en savoir plus sur le soutien au bien-être financier.