Bousculer l’invalidité : poursuivons la conversation

Par Ellen Whelan, FSA, FICA

Perspectives – janvier 2025

Dans notre dernier article, Bousculer l’invalidité : l’heure de la remise à niveau?, nous avons fait valoir la nécessité d’une nouvelle perspective sur les modèles d’invalidité au Canada. Les combinaisons de prestations d’invalidité de courte durée (ICD) et d’invalidité de longue durée (ILD) varient, mais les suivantes sont les plus courantes :

Régime Durée de l’invalidité Niveau des prestations actuel Financement Définitions Gestion de dossier
Maladie/ICD 0-3/6 mois 100 % Probablement autoassuré Emploi habituel Non
ILD > 3-6 mois 50-70 % Assuré Emploi habituel
pendant 24 mois,
puis tout emploi
Oui

Les régimes d’invalidité représentent une part importante et croissante de l’ensemble des dépenses des employeurs en matière d’avantages sociaux. Les primes d’assurance ILD à elles seules peuvent représenter jusqu’à 25 %, voire plus, des coûts des régimes, sans parler des coûts liés aux régimes d’ICD. Si le coût n’a pas encore suscité de changement à lui seul, la toile de fond persistante de crise nationale en matière de santé mentale, la surcharge des services de santé, la montée des taux de cotisation à l’assurance ILD et les récents changements apportés aux prestations de maladie de l’assurance-emploi (AE) rendent indispensable le dialogue sur de nouvelles approches de gestion de l’invalidité en milieu de travail.

Bien que de nombreux articles et de nombreuses affaires juridiques remettent en question la date ou l’âge de fin des prestations d’ILD, il reste du travail à faire à l’égard de la date de début de l’ILD et des personnes qui peuvent en bénéficier.

Parmi les multiples répercussions d’une absence pour cause d’invalidité sur le lieu de travail et sur la santé mentale, le coût est susceptible de devenir un facteur de changement déterminant pour de nombreux promoteurs de régimes. Les conséquences financières d’une absence pour cause d’invalidité sur le programme d’avantages sociaux d’un promoteur de régime dépassent largement les coûts de la prestation de remplacement du revenu. D’autres éléments du programme dans son ensemble, comme l’assurance maladie complémentaire et les médicaments sur ordonnance, peuvent également occasionner des coûts importants. Les promoteurs de régime continuent de chercher des moyens efficaces de gérer globalement leur programme d’avantages sociaux de manière à soutenir à la fois les participants qui sont en congé d’invalidité ou qui y sont exposés et la viabilité financière du programme. Un soutien accru en santé mentale, des programmes d’orientation en matière de soins de santé et des tests pharmacogénétiques peuvent permettre d’améliorer les résultats en matière de santé et de réduire le nombre de congés d’invalidité ou de les raccourcir.

Coup double : crise de la santé mentale et retard dans l’accès aux soins de santé

Selon des données récentes de Statistique Canada, 7,5 % des personnes ayant un emploi se sont absentées de leur travail ou de leur entreprise pour des raisons de stress ou de santé mentale au cours des 12 mois précédant le mois d’avril 2023. Cela représente 2,4 jours perdus en moyenne pour l’ensemble des travailleurs au cours de cette période1. Les demandes de règlement liées à la santé mentale sont désormais la principale cause d’invalidité dans tous les groupes d’assureurs qui versent des prestations d’invalidité. En effet, selon des données récentes de Manuvie, 36 % des travailleurs en invalidité de longue durée ont reçu un diagnostic primaire lié à la santé mentale2. CAMH estime que les répercussions économiques des invalidités liées à la santé mentale représentent une perte annuelle ahurissante de 50 milliards de dollars, dont 6,3 milliards de dollars sont le résultat direct de la perte de productivité3.

Les demandes de prestations d’invalidité liées à la santé mentale sont parmi les plus complexes et nécessitent souvent une intervention précoce et continue pour favoriser un retour au travail réussi. Au Canada, environ la moitié des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale attendent environ un mois pour avoir accès à des services de consultation réguliers, et une personne sur dix attend jusqu’à cinq mois4. Les retards persistants dans l’accès aux diagnostics et aux traitements appropriés ont fait augmenter le temps nécessaire à la préparation d’un dossier d’invalidité et ont rendu encore plus complexe la tarification des prestations d’invalidité.

Étant donné qu’un régime d’avantages sociaux typique compte des participants d’âge variable, touchés par différents types d’invalidité dont la durée et les montants de prestations varient, l’incertitude et la volatilité de la tarification des prestations d’ILD peuvent rendre le coût de ces régimes ingérable, tant pour les promoteurs que pour les participants.

Une question pertinente et une occasion à saisir

Les données disponibles de l’étude de l’Institut canadien des actuaires5 sur la date prévue de rétablissement de l’invalidité, associées aux enjeux relatifs à la santé mentale et au système de santé relevés ci-dessus, soulèvent une question pertinente : pourquoi la plupart des prestations d’invalidité de longue durée commencent-elles à 17 ou 26 semaines, ce qui oblige les assureurs à fixer le prix de ces demandes de règlement à un moment où les prévisions de rétablissement sont encore très élevées et incertaines? Il ressort des données que nous devrions prolonger la période considérée comme une ICD et retarder le début de la période considérée comme une ILD jusqu’à ce que les taux de cessation de l’invalidité diminuent et se stabilisent et que l’état de santé des employés invalides soit plus près d’être stable.

Selon l’étude de l’ICA, seuls 2 % des régimes d’ILD canadiens prévoient une période d’attente d’au moins 12 mois. Cependant, l’expérience d’Eckler à l’égard de ces types de régimes montre qu’ils sont souvent assortis des taux de cotisation les plus bas (et les plus stables). Comme nous le proposions dans notre premier article, nous croyons qu’il est possible d’adopter une nouvelle approche. Les occasions à saisir comprennent :

  1. Porter la durée de la période d’ICD à 26 semaines au minimum (ou 6 mois) pour une meilleure adaptation aux modifications apportées aux prestations de maladie l’AE.
  2. Créer une période d’« invalidité de moyenne durée (IMD) » entre l’ICD et l’ILD, qui commencerait à la fin de l’ICD pour une durée supplémentaire de 18 à 24 mois (ou plus), et serait suivie de l’ILD, au besoin. Cela permettrait d’accorder plus de temps aux efforts de réadaptation et de retour au travail avant qu’un membre ne passe à ce qui est véritablement une invalidité de longue durée.

Les niveaux de prestations prévus dans le modèle proposé pourraient être structurés de manière à garantir qu’un participant à un régime qui bénéficie d’une demande de règlement pendant une longue période reçoive un montant total de prestations identique (ou presque) à celui qu’il aurait perçu dans le cadre des régimes courants actuels. Cette nouvelle structure pourrait également permettre aux promoteurs de modifier l’entente traditionnelle de partage des risques (financement) avec les assureurs. L’autoassurance des demandes de prestation pour la période d’ICD ou d’IMD prolongée, par exemple, pourrait aider les promoteurs à réaliser des économies sur le régime d’ILD en éliminant les primes de risque plus élevées, tout en stabilisant les primes d’assurance ILD.

La mise en place d’une gestion des dossiers d’invalidité et d’un soutien à la réhabilitation le plus tôt possible dans le processus d’ICD ou d’IMD, ainsi que le maintien des liens entre le participant au régime et sa « famille professionnelle », demeureraient un facteur déterminant pour la réussite de cette approche et du retour au travail, avec un risque minime de reprise de l’invalidité.

Pourquoi attendre?

La conception des régimes collectifs d’invalidité de courte et de longue durée n’a pas vraiment changé dans les dernières décennies. Si les promoteurs de régimes ont consacré beaucoup de temps à l’adaptation des prestations de soins de santé et de soins dentaires pour répondre aux besoins actuels (et émergents) des participants au meilleur coût, il n’en a pas été de même pour les régimes d’invalidité.

Étant donné que les prestations d’invalidité de longue durée représentent aujourd’hui à elles seules 25 %, voire plus, des coûts habituels d’un régime d’avantages sociaux, nous pensons qu’il est temps d’envisager les possibilités d’une approche moderne en matière de conception des régimes d’invalidité qui réponde aux enjeux des conditions actuelles.

Si vous avez des questions à ce sujet ou sur d’autres sujets importants, n’hésitez pas à communiquer votre conseiller Eckler ou à vous connecter avec nous sur Eckler.ca.